Simon Polrot
Avocat au sein du Département Fiscal du cabinet d’avocats européen Field Fisher, Simon Polrot est un spécialiste du droit fiscal national et international. C’est un spécialiste des implications juridiques de la Blockchain. Il conduit des études prospectives des problématiques juridiques liées à l’utilisation d’une Blockchain (formalisme, droit applicable, responsabilité, obligation réglementaire, fiscalité, etc.). Il intervient en conseil sur la conformité des usages de la Blockchain à la loi applicable.
Vidéo de la conférence
La blockchain et son intérêt
La première Blockchain est apparue en 2008 avec dans son sillage la monnaie numérique connue sous le nom de Bitcoin. Toutes deux développées par un inconnu se présentant sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto.
La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations. Elle est transparente et sécurisée et fonctionne sans aucun organe central de contrôle. C’est une base de données, comme un grand livre de compte qui contient l’historique de tous les échanges effectués entre les utilisateurs, depuis sa création; elle est inviolable et non modifiable.
La blockchain est une nouvelle manières d’aborder les transactions, passant de tiers de confiance traditionnels ( banques, notaires, huissiers de justice) ou des plateformes dites intermédiaires comme Uber, à des systèmes de transaction de pair à pair (Peer to peer). Mais au delà des transactions elle permet également de créer des smart contracts (contrats intelligents, auto-exécutants). Le droit est ainsi encodé grâce à des formules mathématiques, garantissant la fiabilité, éliminant la « faiblesse » et l’erreur que peut produire l’humain.
L’absence de lois sur la blockchain
Aujourd’hui la blockchain n’a pas de régime juridique établi. N’ayant aucune loi encore promulguée, quelle est donc sa valeur juridique ? Et comment légiférer en cas de litige ? Car même les organismes réglementaires n’ont pas de cadre juridique défini, ni aucune réglementation claire.
Nous sommes donc face à un vide juridique. D’après Simon Polrot, avocat chez Fieldfisher, il est nécessaire que le droit existant s’applique au droit d’usage.
Le code ferait donc office de loi, comme pour Lawrence Lessig dans son ouvrage intitulé « code is law ». D’après l’auteur, à chacune des périodes de changements arrive une crainte, notamment quant à la suppression des libertés, et pour y pallier nous créons des sortes de filets de sécurité que sont les lois. D’après lui nous sommes tellement obnubilés par le rattachement de la loi à la notion de gouvernement que nous ne voyons la face cachée de l’iceberg : la régularisation se met en place dans le cyberespace et la menace qu’elle représente pour nos libertés.
« Ce régulateur, c’est le code : le logiciel et le matériel qui font du cyberespace ce qu’il est. Ce code, ou cette architecture, définit la manière dont nous vivons le cyberespace. Il détermine s’il est facile ou non de protéger sa vie privée, ou de censurer la parole. Il détermine si l’accès à l’information est global ou sectorisé. Il a un impact sur qui peut voir quoi, ou sur ce qui est surveillé. Lorsqu’on commence à comprendre la nature de ce code, on se rend compte que, d’une myriade de manières, le code du cyberespace régule. » extrait de Le code fait loi – De la liberté dans le cyberespace Code is Law – On Liberty in CyberspaceLawrence Lessig – janvier 2000 – Harvard Magazine – (Traduction Framalang : Barbidule, Siltaar, Goofy, Don Rico)
Le cyberespace protège l’anonymat, la liberté d’expression et l’autonomie de chacun. Pourtant au fur et à mesure que nous modifions le code du cyberespace, nous bougeons les limites de la liberté que nous y avions. Le code devient la loi du cyberespace, ne permettant plus l’anonymat et la liberté d’action.
Le droit existant à propos d’internet et du cyberespace reste toutefois applicable à la blockchain. Il faut néanmoins prendre en compte le fait que certains cas d’usage ne peuvent pas entrer dans ces lois et nécessitent une réglementation adaptée.
Il est important est nécessaire de mettre en vigueur des lois spécifiques à la blockchain car cette incertitude juridique fait planer un risque juridique en floutant les frontières de la transgression. Ce qui amène dans son sillage un climat de peur et par conséquent devient un frein quant à la technologie disruptive qu’est la blockchain.
Les différents cas d’usage de la technologie de la blockchain
La blockchain ouvre un champ infini de possibilités quant à son utilisation. On peut y trouver notamment le transfert d’actifs, moyen de paiement (cryptomonnaie, tokens programmables représentant des actifs numériques, des bons de caisse, des actions, etc…). Grâce à la blockchain les moyens de paiements pourront être l’équivalent d’une carte Visa, même si cela reste utopique pour le moment. Il est également envisagé d’utiliser la blockchain en tant que signature électronique, pour tous types de formulaires ou de registres, ce qui permettra une meilleure gestion. Il également possible de réaliser des programmes informatiques que l’on appelle « smart-contracts ». Concrètement, les smart contracts sont des programmes, accessibles et auditables par toutes les parties autorisées. L’exécution est donc contrôlée et vérifiable ainsi que conçus pour appliquer les termes d’un contrat de façon automatique lorsque certaines conditions sont réunies.
Quels sont les différents droits applicables à ces cas d’usages ?
La crypto-monnaie qu’est le bitcoin est exonérée de TVA. Nous sommes dans un flou juridique car ce n’est pas une monnaie réelle. La blockchain présente un problème de scalabilité,. C’est une règlementation applicable non-précisée par l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution).
L’inscription sur la blockchain, la preuve est libre, elle pourrait avoir une valeur juridique si les conditions peuvent être démontrées devant un juge. La signature électronique est encore en pourparlers afin qu’elle soit définie comme une valeur juridique. Il est possible de contourner cette problématique dans le cas d’une blockchain dite « privée » : on établit une convention spécifique entre les parties. Si on souhaite développer une application : un examen au cas par cas est réalisé, le juriste regarde l’activité développée par l’application, pour définir la partie juridique.
Beaucoup de questions sont encore en suspens concernant les différents cas d’usage de la blockchain dans le juridique. Quelle loi s’applique aux transactions ? Y a-t-il des lois territoriales ?
A partir du moment où l’on engage des preuves d’argents, on se pose la question de savoir qui est responsable ?
Exemples de questions juridiques
Smart contract
Plus on développe les cas d’usages plus les conséquences vont être lourdes. Prenons pour exemple un smart contract qui peut ouvrir la porte de votre maison. S’il y a un bug et qu’un tiers entre chez vous et vole vos biens, qui peut être tenu pour responsable ? Aujourd’hui encore nous n’avons pas de moyens de le définir, affirme Simon Polrot.
Il est nécessaire de rappeler que la technologie est par nature faillible : (« Code is Bug » ?). Google ou Facebook ont des programmes de bug bounty qui sont proposés en permanence à des chasseurs de primes (hunters) afin qu’ils fassent remonter les vulnérabilités et failles de leurs systèmes. Pourquoi pas dans les blockchains ?
D’autre part, comment définir la loi à appliquer en fonction des pays de résidence des utilisateurs de la Blockchain ? Si un smart contract est établi entre un américain et un français. Il est aujourd’hui encore difficile de déterminer la loi applicable. On peut donc être amené à se demander s’il n’est pas nécessaire d’établir une loi sans frontière.
Conditions de formations des transactions
Si quelqu’un vous force à établir un smart contract, il sera difficile de déterminer qui a programmé et qui a envoyé le smart contract. Simon Polrot nous explique qu’aujourd’hui nous nous posons beaucoup de questions auxquelles nous n’avons que très peu de réponses. Ces problématiques vont se dévoiler petit à petit. Parmi elles la preuve d’identité.
Réglementaire
Il y a énormément de secteurs très réglementés tel que la finance, la santé, l’assurance, l’énergie. Aujourd’hui il est impossible de créer une banque sans avoir l’autorisation de l’AMF (Autorité des Marchés Financiers). Nous ne pouvons pas vendre de l’énergie à notre voisin sans se référer aux organismes qui s’occupent de la distribution d’énergie en France, etc. La Blockchain se confrontera forcément à ces verrous administratifs. Sous la pression technologique certains pourront évoluer mais d’autres trouveront suffisamment de ressources pour résister.
La réglementation financière
Simon nous explique que l’on considère par défaut le particulier comme sans connaissances. Cela évite ainsi de l’engager dans des risques trop importants.
Avec la réglementation financière actuelle, on ne peut pas laisser un particulier s’engager à faire des choses trop risquées sans l’avertir préalablement, tout comme on ne peut pas vendre des produits à un consommateur sans l’avoir informé de ce que l’on lui vend. Aujourd’hui sur la Blockchain c’est un peu la loi de la jungle. Avec la DAO (Decentralized autonomous organization), nous pouvons en quelques minutes créer notre compte, acheter des Ethers puis les envoyer sans avoir eu d’avertissement sur le risque financier au préalable.
La fiscalité
Comment payons-nous les impôts ? Qui les payent? Comment sont-ils calculés ? Ces questions restent sans réponses excepté dans le cas des particuliers. L’administration fiscale a émis des instructions pour encadrer la taxation des revenus de vente de crypto-monnaie. Si nous possédons des bitcoins ou des Ethers et que nous souhaitons les vendre, nous devons les déclarer en revenus annuel mais aussi à l’ISF si nous avons plus de 1 300 000 euros de patrimoine. Nous devons également les déclarer en droit de succession en cas de décès mais aussi les donner en droit de mutation. Cette procédure n’est pourtant pas toujours respectée. Le relatif anonymat des crypto-monnaies favorise jusqu’à présent l’immunité fiscale.
Simon Polrot évoque la problématique des taxes pour les entreprises. En effet, comment les États vont-ils pouvoir taxer une entreprise générant des revenus conséquents directement sur la Blockchain avec comme support de valeur la cryptomonnaie ? C’est une problématique à laquelle s’attendre si on se lance aujourd’hui dans le business de la Blockchain et des crypto-monnaies. Il est important d’anticiper cette problématique avec des experts comptables et des fiscalistes.
IV. Prospective
Les initiations en cours sont d’échanger avec les régulateurs pour définir quel serait le cas juridique adapté à une Blockchain ou technologie Blockchain. Cela permettra aux acteurs qui veulent déployer cette technologie d’avoir un peu de visibilité. Simon Polrot nous pose de nouvelles problématiques :
- – Pouvons-nous utiliser une preuve d’existence dans le cas d’une transaction commerciale ?
- – Pouvons-nous, en tant qu’entreprise, posséder des Bitcoins ? Si je les vends comment cela va-t-il être traité ?
Beaucoup d’organismes tels que la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) ou la banque de France ont créé des groupes de travail pour réfléchir à ce qu’est la Blockchain. Les institutions commencent à s’intéresser sérieusement au problème.
L’erreur à ne pas faire serait de légiférer sur une Blockchain ou une technologie en particulier. Cela enfermerait les usages possibles de la Blockchain dans un environnement trop strict. Au contraire, l’idée est de créer un cadre de réflexion assez large dans lequel peuvent entrer tout un tas de situations différentes. Les principaux acteurs de cette réflexion en France sont la Chaintech et les cabinets d’avocats.
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