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Catégorie(s) Les temps changent

La multiplication des offres d’abonnements : vers un retour du piratage ?

Contexte

Encore une plateforme de SVOD  ! 

Décembre 2022 aura marqué le déploiement de Paramount + qui propose l’accès à son catalogue pour 7,99€ par mois. L’arrivée de ce nouvel acteur sur  le champ de bataille de la guerre du streaming a été une source de débat. 

Pourquoi le piratage a pris une place importante sur Internet ? Et est-ce que la multiplication des offres d’abonnement va pousser à la consommation de contenu piraté ?

Il faut tout d’abord retracer l’histoire du piratage et de la transition numérique de l’industrie du divertissement.

Internet et le piratage

L’âge d’or de la piraterie

Retour dans les années 2000, internet qui était encore rudimentaire jusqu’ici venait de subir
une révolution principalement due à l’apparition des offres d’ADSL, la démocratisation de
l’ordinateur personnel, les blogs et la création des futurs mastodontes de l’industrie (Facebook,
Twitter, YouTube…).

"Le monde est désormais entré dans l'Âge d'Or de la Piraterie"
One Piece © Toei Animation 1999

En parallèle on observe l’apparition des sites et logiciels de partage de fichiers, eMule, Limewire, Megaupload, que des noms qui résonnent dans l’esprit de ceux ayant connu cette époque comme un bon souvenir où tout était accessible facilement et gratuitement. Cependant, ce fut une période noire pour l’industrie du divertissement qui vit une chute drastique des ventes physiques, le secteur où ça a été le plus flagrant aura été la musique.

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Interface du logiciel eMule

D’après le rapport de l’IFPI (Fédération internationale de l’industrie phonographique) sur la musique au format numérique de 2009, on estime que 95% de la musique au format numérique est téléchargée de façon illégale. Cela peut s’expliquer par plusieurs facteurs, l’explosion des baladeurs mp3, peu de solutions légales, et la facilité d’utilisation des logiciels de peer-to-peer.

 

Le cinéma, une réponse compliquée

De son côté l’industrie du cinéma a eu du mal à riposter entre les campagnes publicitaires ridicules (“le piratage c’est du vol !”), Hadopi qui s’en prenait aux consommateurs plutôt qu’aux plateformes de téléchargement illégales et le démarrage compliqué des plateformes de VOD / Streaming.
Le piratage n’a pas eu un grand impact sur les entrées au cinéma mais les séries ont été l’objet de nombreuses copies illégales qui ont impacté l’industrie en mal comme en bien. Breaking Bad la série au succès international démarrée en 2008 a été à une période la série la plus téléchargée illégalement, selon Numerama on estime à plus de 500 000 le nombre de téléchargement illégaux douze heures après la sortie de l’épisode final.
Pourtant Vince Gilligan, le créateur de la série, disait “Si je suis honnête, je vois bien que le téléchargement illicite a conduit beaucoup de personnes à regarder la série, ce qui n’aurait pas été le cas sinon. À certains égards, je vois que le téléchargement illicite nous a aidé, notamment en termes de notoriété de la ‘marque’ Breaking Bad, donc c’est un bon point”.

 

Interface de Steam en 2007

Sur PC dès 2003 le studio de développement Valve à l’origine des licences Counter Strike, Half Life ou bien Portal lance ce qui va devenir le plus grand magasin de jeux dématérialisés. La plateforme va détenir un large monopole durant une dizaine d’années jusqu’à l’arrivée de l’Epic
Games Store créé par les développeurs de Fortnite. Elle est en partie la raison pour laquelle il est devenu rare de trouver des jeux PC au format CD de nos jours. Malgré tout, le gaming sur ordinateur n’a pas été épargné par le piratage et s’est perpétué jusqu’aux années 2010, selon une étude Arxan Technology, une entreprise américaine de cybersécurité, le piratage de jeux vidéos représente 66 milliards de pertes en 2014. Les développeurs mènent encore actuellement une course avec les pirates cherchant les failles des
logiciels de DRM (Digital Right Management) qui empêchent la création de copies illégales.

Quant à lui, le marché des consoles était moins impacté du fait que le jailbreak demandait souvent une intervention sur le hardware (matériel). 

Les constructeurs vont prendre plus de temps à habituer les consommateurs au dématérialisé, les raisons étant l’uniformisation des machines, le marché de l’occasion et la pression des revendeurs. Il est notable que les constructeurs avaient déjà implanté un magasin en ligne bien que peu utilisé avant 2010 (Wii Shop, Playstation Store, Xbox Games Store …). Sony avait même tenté un coup peut-être trop en avance sur son temps qui était de sortir une console sans support de jeux physique, la PSP-GO qui fut un tel échec qu’ils ont fait machine arrière en mettant un support de cartouches sur sa petite sœur la PS Vita.

Interface du Playstation Store en 2008

 

L’abonnement mensuel : la solution miracle ? 

L’avènement plateformes légales

Au début des années 2010 le streaming musical commence à devenir important, Gangnam Style à atteint le milliard de vues sur YouTube, Deezer, une plateforme française, à atteint 1,5 millions d’abonnés à leur formule premium en 2011. 

Cela a permis aux artistes de pouvoir être enfin rémunérés en fonction du nombre d’auditeurs malgré qu’en France il faille attendre 2016 pour que les streams soient comptabilisés comme des ventes par la SNEP (Syndicat national de l’édition phonographique).

 

Visualisation par Tristan Gaudiaut pour Statista.com

Netflix commence à accroître sa notoriété avant de connaître un pic d’abonnement entre 2015 et 2016, cela peut s’expliquer par l’augmentation du catalogue mais surtout grâce aux productions originales de qualité tels que Narcos ou Orange is the New Black. 

Un des facteurs qui a favorisé le streaming légal aura été les Smart TV avec l’apparition des systèmes d’exploitation Android TV et Apple TV.

 

Un avantage financier

Selon le magazine Capital, une place de cinéma en France en 2021 coûte en moyenne 7,04€, ce qui représente une augmentation de 6,02% en un an. 

C’est le prix d’un mois d’abonnement à Amazon Prime, qui en plus de fournir un large catalogue de films va faire bénéficier au consommateur un avantage sur toutes les plateformes de la firme (Amazon.com, Twitch, Audible …).

Encore une fois c’est le monde de la musique qui subit va totalement adapter son rythme de production pour les plateformes de streaming. Avant pour un artiste, la sortie d’un album était un événement, le rythme de production était limité par les maisons de disques et la grande partie des revenus générés par celui-ci allait dépendre du nombre de CD vendus, de la rotation en radio et il n’avait plus qu’à espérer qu’il ait assez de succès pour pouvoir rembourser les frais de production.

Aujourd’hui un artiste aura plus de facilités à être indépendant, donc il peut avoir le rythme qu’il souhaite, le succès peut venir des algorithmes de recommandation, des playlists et surtout des trends Tik Tok, à cause de quoi ils ont intérêt à faire des morceaux plus courts avec des boucles de mélodies entraînantes et de sortir au moins un album par an pour pouvoir rester sur les playlists. 

On peut donc dire que dans le format, la musique s’est adaptée aux plateformes de streaming. 

 

La liberté de choix

“L’effort de choix du film est également réduit. Le pirate peut, de manière impulsive, décider de télécharger un film. De même, il peut facilement interrompre le visionnage d’un film, si celui-ci ne lui plaît pas. Cette facilité d’accès limite le risque d’être déçu par rapport à un film loué ou vu en salle, c’est pourquoi les pirates considèrent souvent le téléchargement comme le moyen idéal pour tester un film et juger de son intérêt” d’après une étude de QualiQuanti La piraterie de films : Motivations et pratiques des Internautes (2004)

Avant le tout dématérialisé et le streaming nos choix de contenu audiovisuel étaient régis par des programmateurs TV et radio, métier voué à disparaître au profit des algorithmes de recommandation, et ce qui est mis en avant dans les rayons des magasins ainsi que ce qui était à l’affiche au cinéma ou dans les bacs des magasins.

 

Fnac Paris-Saint-Lazare, en décembre  2021. MATHILDE MAZARS / REA

 

Le piratage va-t-il réapparaître ? 

Trop de concurrence tue la concurrence

On va faire un petit calcul, j’ai envie de suivre les dernières séries en vogue donc je vais m’abonner à Netflix, j’aime bien l’univers de Star Wars donc pour visionner les films et séries il me faut Disney +, en ce moment la série The Last Of Us est publiée sur Prime Vidéo et je n’ai pas envie de la rater, je suis aussi fan d’animation japonaise donc je m’abonne à Crunchyroll, j’aime bien écouter de la musique en allant au travail donc on ajoute Spotify et enfin je veux suivre le football et la formule 1 donc je prends un abonnement BeIN Sport et MyCanal. 

Au total cela fait 84,94€ / mois , si on ajoute ce nombre aux dépenses mensuelles d’un foyer ça commence à devenir compliqué, il va falloir faire des choix.

 

De plus, des plateformes comme Prime Vidéo ont ajouté des bouquets payants pour accéder à encore plus de contenu via Paramount +, le Pass Ligue 1 ou encore Salto qui s’est greffé à la plateforme de Jeff Bezos.

 

Une augmentation des prix inévitable

Dans le panorama de la consommation des biens culturels de l’année 2022 par l’ARCOM, il est avancé que 52% des consommateurs de contenus illicites sur internet justifient leurs actes par la hausse des prix.

 

Site internet Netflix.com

Voici la nouvelle grille tarifaire de Netflix, l’offre premium a connu une augmentation de 4€ depuis 2017.

Il est intéressant de noter le fait qu’ils proposent une offre avec pub et avec une qualité moindre. 

Mais pourquoi les plateformes ne vont plus pouvoir proposer des prix attractifs à l’avenir. En France l’ARCEP estime que Netflix consomme 20% de la bande passante.

 

Netflix pèse toujours plus sur les réseaux des opérateurs télécoms français, Les Echos, 2022.

 “Il est indéniable que la majorité de la bande passante, soit 60 %, est consommée par six acteurs : Microsoft, Apple, Facebook, Amazon, Google et Netflix. Selon le principe de l’équité, il n’y a aucune raison qui justifierait que ces six acteurs-là ne paient pas en proportion de leurs usages” a récemment déclaré Grégory Rabuel, PDG du groupe SFR /  Altice, lors d’une interview pour le JDD. 

Pour l’instant, grâce à la loi de la neutralité du web, en France, les FAI ont le devoir de supporter les flux de données donc cela n’engage pas des frais supplémentaires pour les plateformes de streaming. Ce système risque d’être chamboulé à cause des fournisseurs internet qui font pression sur le parlement européen afin de taxer les services consommant trop de données.

 

Ailleurs dans le monde on a pu voir YouTube qui avait rendu la qualité 4K payante via son offre premium (avant de se rétracter suites aux plaintes des utilisateurs)  ou bien Twitch, célèbre plateforme de diffusion en direct, qui a dû brider la qualité des flux en 720p en vue d’une nouvelle loi en Corée qui a mis à la charge des entreprises du net les frais de bande passante .

 

Fausse alarme ?

Selon l’ARCOM, la consommation de contenu illicite à diminué de 3% entre 2021 et 2022 tandis que les plateformes légales ont augmenté leur part de marché de 6%. 

L’industrie audiovisuelle n’est pas en danger, on est loin de la situation de crise des années 2000. 

Pourtant, même si de moins en moins utilisées, il existe nouvelles méthodes qui facilitent l’accès au copies illégales : 

  • L’IPTV pirate, ou télévision par internet, connu par ceux voulant voir des événements sportifs illégalement et permet d’accéder depuis un boîtier ou une smart TV à une plateforme contenant des chaînes de TV, films et séries. Cette solution est la plupart du temps payante, il existe un marché illicite de fournisseurs d’IPTV.
  • Le cloud, beaucoup l’ignorent mais beaucoup de copies illégales circulent via les plateformes de stockage en cloud tels que Google Drive, Dropbox ou bien MEGA.
  • Les applications crackées, versions modifiées des logiciels de base par des hackers contournant les barrières de sécurité.
  • Le streaming en direct, aussi utilisé dans le monde du sport et des événements TV, il est notable que des diffusions interdites se retrouvent sur des réseaux sociaux tels que Tik Tok, Twitter ou bien Facebook.

 

Ce qu’il faut retenir 

Les services de streaming sont devenus de plus en plus populaires et ont réussi l’exploit de changer drastiquement les habitudes des consommateurs en leur offrant un accès facile et abordable à un large catalogue de contenu et en leur laissant le choix, que regarder ? À quelle heure ? Sur le smartphone ou la TV ?

Les entreprises de divertissement ont également travaillé en étroite collaboration avec les gouvernements et les fournisseurs d’accès à Internet pour bloquer les sites de piratage et poursuivre les pirates. L’ARCOM, successeur d’HADOPI fait ses preuves en s’attaquant directement à ceux qui proposent le contenu illégal et non plus à celui qui le consomme.

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